LA RECHERCHE PSYCHANALYTIQUE Le rugby, spectacle, sublimation ou art
Joël Berthou est engagé depuis plusieurs années dans un travail de recherche psychanalytique, dirigé par le Dr. J-D. Nasio. Il travaille actuellement sur la rédaction de trois essais de psychanalyse sur le concept de sublimation appliqué au jeu de rugby.
« Qu’est-ce que la sublimation ?Le profane en psychanalyse doit pouvoir saisir le plus clairement possible en quoi consiste ce processus psychique extrêmement complexe qu’est la sublimation. Le plus simple est de partir d’un exemple de la vie courante, aussi nous choisissons de porter une attention particulière, car très explicite, sur les fondements inconscients de la profession de chirurgien. En effet, le médecin spécialiste en chirurgie a une place à part dans le monde médical et dans notre société. Ce n’est pas pour rien que cette activité est largement reconnue et rétribuée. Le chirurgien répare, sauve des vies et pour se faire il est capable de faire quelque chose d’exceptionnel. Au niveau des projections imaginaires, il est proche des dieux. Quiconque s’est retrouvé « entre les mains des chirurgiens » a bien été obligé de lui confier sa vie ou celle de ses proches.
Pour le psychanalyste l’intérêt se dirige immédiatement vers ce qui rend cette activité si singulière. C’est-à-dire cette capacité absolument indispensable à l’exercice de trancher un corps humain vivant, de l’ouvrir et d’intervenir à l’intérieur sans aucun état d’âme. Cette capacité sublime, hors du commun, n’est pas donné à tout le monde. De ce sadisme nécessaire et utile, le chirurgien en acquiert « une reconnaissance de la part de la société dont il peut tirer honneur, gloire et argent ».
Lacan rappelle que pour Freud, « la sublimation est la transformation de la tendance sexuelle en une œuvre où chacun, reconnaissant ses propres rêves et impulsions, récompensera l’artiste de lui donner cette satisfaction en lui accordant une vie large et heureuse ». Il en va de même pour le chirurgien, la société le récompense de nous donner une certaine satisfaction à travers son œuvre. Son œuvre n’est pas artistique, elle est éthique. Il s’agit de faire le bien, de sauver, de réparer son prochain. »
La sublimation permet de détourner tout ce qu’il y a de destructeur en l’être humain. La pulsion d’agression est transformée en jeu où deux équipes s’affrontent pour conquérir le territoire de l’autre. Cette mise en scènes n’est pas sans rappeler les joutes guerrières qui ont jalonnées toute l’histoire de l’humanité.
En jouant la guerre peut-être sommes-nous en train de réussir ce tour de force de l’éviter dans le réel. En effet, pendant que nos jeunes « se déglinguent » par jeux vidéo interposés, il semblerait que la paix domine sur une large part de notre planète pour la première fois dans l’histoire de notre espèce.
Le jeu de rugby participe de ce mouvement en permettant à la pulsion d’agression de s’exprimer sur un terrain sous forme de jeu, sans se faire mal, sous le regard impliqué de milliers de spectateurs et téléspectateurs, concernés qu’ils sont eux-mêmes par la dite pulsion d'agression.
Le premier essai « Le rugby est un spectacle » traite de ce qui se joue au niveau inconscient lors d’une rencontre de rugby, tant du côté du joueur que de celui du spectateur. Le deuxième « Le rugby est une sublimation » examine les désirs et fantasmes inconscients mis en actes sur le terrain à l’insu de chacun. Et le troisième « Le rugby peut être un art » sous-entendu de l’évitement, met en avant ce qui, dans une discipline artistique ou sportive, porte au sublime l’action humaine.